Peut-on s'accomplir au travail ?
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Tentative de réponse avec la bande-annonce et des extraits du documentaire Jiro Dreams of Sushi (2011), réalisé par David Gelb.
Dans la dernière vidéo, Jiro s'entretient avec un chef étoilé danois, René Redzepi. Il y est question de la "passion" du travailleur, de la recherche incessante d'un idéal de perfection. Le travail devient ainsi une discipline qui rend meilleur celui qui s'y consacre. Jiro évoque également la mécanisation du travail qui risque de retirer au travailleur toute satisfaction (comment peut-on prendre plaisir à contempler un objet que l'on n'a pas soi-même produit?). Mais le cas de Jiro soulève toute une série de questions : cette "réalisation de soi" dans le travail est-elle accessible à n'importe quel travailleur ? N'est-elle pas liée à une forme bien spécifique de travail (à savoir, le travail artisanal dans lequel le travailleur a la jouissance de pouvoir se retrouver dans ce qu'il a fait de ses propres mains) ? Le travail ne produit-il que des biens consommables ? Le sushi n'est-il pas destiné à une forme de contemplation qui rapproche ainsi l'artisan-cuisinier de l'artiste ? Ne peut-on pas éprouver pas dans le spectacle du travailleur qui accomplit des gestes précis et gracieux une admiration comparable à celle que procure la vision d'un danseur ou d'une chorégraphie ? |
L'homme face à la machine : Les Temps modernes de Charlie Chaplin (1936)
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Rendant compte des mutations liées à l'apparition du travail mécanisé, Marx écrivait dans Le Capital (Livre I):
« Dans la manufacture et le métier, l’ouvrier se sert de son outil ; dans la fabrique, il sert la machine » On peut voir cet extrait comme le commentaire visuel de cette phrase. Charlot, ouvrier spécialisé travaillant sur une chaîne de montage, est un homme asservi par la machine. Comment comprendre cela ? Il est d'abord incapable de décider lui-même de sa propre cadence de travail et se trouve contraint de suivre le rythme effréné que lui impose la machine sous peine d'être... aspiré ou absorbé elle ! Mais, de façon plus radicale encore, cette scène insiste sur le caractère proprement déshumanisant de ce travail. Happé par la machine, l'homme devient un rouage dans un système mécanique qui le transforme en machine. Ainsi, une fois sorti de la machine, le travailleur est lui-même devenu une machine. Ses gestes sont mécaniques : il exécute comme un réflexe un geste que la répétition a vidé de toute signification. Au contact de la machine, Charlot a perdu la raison (folie), à commencer par la raison du travail qu'il accomplit, continuant à boulonner alors qu'il n'y a plus rien à boulonner... |